07/10/2021
Philippe Jaccottet, Le bol du pélerin (Morandi)
(Une récente nuit, je me suis rappelé une halte marocaine, à Ouarzazate : des sables roses et des sables jaunes, des rafales de vent de sable, au loin, comme des drapeaux, et ces espèces de forteresses qui tremblaient dans l’excès de lumière sans être des mirages, mais à peine distinctes du sol où elles avaient été bâties, brève entrevision, un matin, pourquoi si poignante ? Je me trouvais dans un endroit du monde où je n’avais même pas désiré passionnément me rendre, et sans qu’aucune aventure personnelle n’y fût mêlée (car enfin bien sûr, s’il y avait eu dans un de ces palais ou forteresses entrevus — comme au cinéma ! — une femme captive, ou pas, que je serais allé rejoindre — délivrer !— mon émotion fût allée de soi et personne ne s’en fût étonné — sinon du fait que c’était moi le héros ! — mais non) ; et ce que j’avais entrevu ainsi à quelque distance n’était même pas un site imprégné par la présence, ou l’absence de dieux, comme l’Égypte ou la Grèce m’en avaient offert en d’autres occasions.
Philippe Jaccottet, Le bol du pèlerin (Morandi), La Dogana, 2006, p. 63.
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08/04/2021
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d'ombre
15 juin 1962
Des oiseaux au-dessus de nous, lointains, qui disent la distance, qui disent : ici est la forêt, ici est le ruisseau dans la forêt, le val qui s’élève en sinuant, qui s’éloigne de nous en s’élevant, qui disent : la beauté est bien visible, mais distante, nous sommes sa voix, son vol, et je voudrais les écouter, les suivre, qui disent : la beauté ne t’appartient pas, mais elle te regarde et sourit. Au-dessus des forêts, leur chant lointain, mais clair.
La nuit, le chant des rossignols comme une grappe d’eau.
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d’ombre, le bruit du temps, 2013, p. 46.
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07/04/2021
Philippe Jaccottet, Nuages
Et ce dernier été, peut-être parce que je sais que, dans la meilleure hypothèse, je n’en ai plus tant que cela devant moi, et que le risque de voir ce mot "dernier" prendre son sens absolu s’aggrave chaque jour selon une progression accélérée, certaines choses de ce monde qui aura été le mien, le nôtre, pendant presque toute notre vie, m’ont étonné plus qu’elles ne l’avaient jamais fait encore, ont pris plus de relief, d’intensité de présence ; plus de, comment dire ? plus de chaleur aussi, étrangement, comme on n’en reçoit généralement que des êtres proches ; bien que je sache, en même temps, que cela ne peut en aucune manière être pris au pied de la lettre, comme si je m’étais mis à croire à une amitié, à des sentiments des choses pour l’homme, qui les rendraient capable de nous "parler" vraiment, à leur façon. Il doit s’agir d’une autre espèce de relation. N’empêche : j’ai peine à croire que la chaleur ne fût qu’en moi, se reflétant en elles. Ce doit être plus compliqué.
Philippe Jaccottet, Nuages, Fata Morgana, 2003, p. 13-15.
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20/03/2021
Philippe Jaccottet, Le bol du pèlerin (Morandi)
[...] ces paysages de Morandi sont, à les bien regarder, très étranges. Tous, rigoureusement, « sans figures », et si la plupart comportent des maisons, celles-ci ont souvent des fenêtres aveugles : on les dirait fermées, sinon vides.
Ce serait une erreur pourtant d'y voir l'image d'un monde désert, d'une « terre vaine », comme celle du poème d'Eliot ; je ne crois pas que, même sans le vouloir ou sans en être conscient Morandi ait fait de cette partie de son œuvre une déploration sur la fin des campagnes.
Certains critiques ont noté que le peintre aimait à laisser se déposer, quand il ne le faisait pas lui-même, une légère couche de poussière sur les objets de ses natures mortes : était-ce encore une couche de temps qui devait les protéger et les rendre plus denses ? Sur ses paysages aussi, on a souvent cette impression d'un voile de poussière. Il me vient l'image puérile du « marchand de sable », parce que son office est d'apaiser, d'endormir. Je pense même à la « Belle au bois dormant » ; on pourrait nommer ainsi la lumière égale, jamais scintillante ou éclatante, n'opérant jamais par éclairs ou trouées, qui les baigne ; même aussi claire que l'aube, avec des roses et des gris subtils, elle est toujours étrangement tranquille. Paysages « aux lieux dormants ».
Philippe Jaccottet, Le bol du pèlerin (Morandi), La Dogana, 2006, p. 45-46.
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14/03/2021
Philippe Jaccottet, La Clarté Notre-Dame
« Celui qui est entré dans les propriétés de l’âge... »
C’est le début d’un poème de mon vieux Livre des morts antérieur à Leçons — quand j’étais encore bien loin de pouvoir le dire de moi ; aujourd’hui, je devrais écrire plutôt « celui qui commence à entrer dans les marécages de la vieillesse, dans ses fondrières »... Mais en même temps, dehors, ce qu’il voit se préparer, s’annoncer dans le jardin et dans la campagne, à travers la fenêtre qui n’est pas celle qu’il voudrait boucher tant bien que mal, c’est, dans les tout premiers bourgeons roses d’un abricotier et, plus loin, les toutes premières fleurs roses de l’amandier, comme une aube éparpillée, l’annonce, une fois de plus dans la vie, de l’invasion du monde autour de lui par des essaims d’infimes anges très frêles, qu’une brève averse ou la surprise d’une bourrasque suffiraient à éparpiller dans l’herbe ou la terre. Comme si les plantes aussi avaient reçu le don de la parole, le don du chant, un chant qui ne pourrait être traduit que dans le beau latin de la liturgie :
EXULTATE JUBILATE
tel qu’en pourraient mieux que personne chanter les enfants.
Philippe Jaccottet, La Clarté Notre-Dame, Gallimard, 2021, p.25-26.
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13/03/2021
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux
Là-bas, les tentes bleues des montagnes semblent vides.
Qu’ourdissez-vous de sombre sur vos fils,
oiseaux nerveux, mes familières hirondelles ?
Qu’allez-vous, à vous toutes, m’enlever ?
Si ce n’était que la lumière de l’été,
j’attendrais bien ici votre retour.
Si ce n’était que ma vie, emportez-la.
Mais la lumière de ma vie, oiseaux cruels,
laissez-la-moi pour éclairer novembre.
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,
Gallimard, 2021, p. 38.
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12/03/2021
Philippe Jaccottet, La Clarté Notre-Dame
C’est, une fois de plus et jusqu’à en devenir décourageant, désespérant, le « combat inégal » de mon vieux poème d’il y a un demi-siècle... Comme si je n’avais fait depuis lors aucun progrès. Au moment où il me faudrait intituler ces pages, plutôt « Fin de partie » Une fois de plus aussi, une vague de fatigue roule sur moi, comme pour m’éviter le constat de mon impuissance à me confronter avec cette fin.
De sorte que chaque mot tracé ici sur la page serait comme une de ces brindilles dont Char lui-même avait rêvé de se bâtir un rempart. Tracer encore des lignes comme on jetterait des filins à la surface d’une étendue d’eau, mare infime ou mer à perte de vue, afin qu’ils supportent une espèce de filet qui nous éviterait la noyade. « Poèmes de sauvetage »... Paroles, n’importe lesquelles même peut-être, pour différer l’effondrement, pour nous faire croire qu’il y aurait encore une chance de s’en tirer...
Philippe Jaccottet, La Clarté Notre-Dame, Gallimard, 2021, p. 22-23.
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30/09/2020
Philippe Jaccottet, Cahier de verdure
Orvet vif comme un filet d’eau,
plus vite dérobé qu’œillade,
orvet des lèvres fraîches.
Toutes ces bêtes
ou esprits invisibles
parce qu’on se rapproche de l’obscur.
Philippe Jaccottet, Cahier de verdure, dans
Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,
2014, p. 764.
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29/09/2020
Philippe Jaccottet, Airs
Monde
Poids des pierres, des pensées.
Songes et montagnes
n’ont pas même balance
Nous habitons encore un autre monde
Peut-être l’intervalle
Fleurs couleur bleue
bouches endormies
sommeil des profondeurs
Vous pervenches en foule
parlant d’absence au passant
Sérénité
L’ombre qui est dans la lumière
pareille à une fumée bleue
Philippe Jaccottet, Airs, dans Œuvres,
Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,
2014, p. 438.
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10/12/2019
Philippe Jaccottet, Le bol du pèlerin (Morandi)
(Une récente nuit, je me suis rappelé une halte marocaine à Ouarzazare : des sables roses et des sables jaunes, des rafales de vent de sables roses et des drapeaux, et ces espèces de forteresses qui tremblaient dans l’excès de lumière sans être des mirages, mais à peine distinctes du sol où elles avaient été bâties, brève entrevision, un matin, pourquoi si poignante ?Je me trouvais dans un endroit du monde où je n’avais même pas désiré passionnément me rendre, et sans qu’aucune aventure personnelle y fût mêlée (car enfin, bien sûr, s’il y avait eu dans un de ces palais ou forteresses entrevus — comme au cinéma ! — une femme captive, ou pas, que je serais allé rejoindre — délivrer ! —, mon émotion fût allée de soi et personne ne s’en fût étonné — sinon du fait que c’était moi le héros ! mais non). Et ce que j’avais entrevu ainsi à quelque distance n’était même pas un site imprégné par la présence, ou l’absence de dieux, comme l’Égypte ou la Grèce m’en avaient offert en d’autres occasions. Alors un pur mirage, tout de même ? Le « leurre du seuil », plutôt : car là commençait le désert, l’idée de ce qui s’ouvre devant nous sans limites — et moins étranger à mon goût que l’océan —, l’ivresse que cela procure, ce socle pour la lumière, tout empoussiéré de feu, ces sables faits pour les pieds nus des voyants gardant l’entrée (...).
Philippe Jaccottet, Le bol du pèlerin (Morandi), La Dogana, 2001, p. 63-64.
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03/08/2019
Giuseppe Ungaretti, Vie d'un homme
Du soir
Dans les soupirs humides de ta nudité
Tu dérobes un secret. Souriant,
Rien, retenant son souffle, n'est plus doux
Que de t'entendre consumer
Au soleil moribond
L'ultime flamboiement de l'ombre, terre !
Soir
Aux pieds des pas du soir
Coule une eau claire
Couleur d'olive,
Jusqu'au feu bref et sans mémoire.
À cette heure dans la fumée j'entends rainettes et grillons,
Où tremblent tendres les herbes.
Giuseppe Ungaretti, Vie d'un homme, Poésie 1914-1970, Préface de Philippe Jaccottet, Poésie / Gallimard, 2005 [1973], p. 158 (traduction Ph. Jaccottet), 163 (traduction Jean Lescure).
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21/07/2019
Philippe Jaccottet, Après beaucoup d'années
À la brève rose du ciel d’hiver
on offre ce feu de braises
qui viendrait presque dans la main.
(« Cela ne veut rien dire », diront-ils,
« cela ne guérit rien,
ne sècherait même pas une larme… »)
Pourtant, voyant cela, pensant cela,
le temps d’à peine le saisir,
d’à peine être saisi,
n’avons-nous pas, sans bouger, fait un pas
au-delà des dernières larmes ?
Philippe Jaccottet, Après beaucoup d’années,
dans Œuvres, La Pléiade / Gallimard, 2014,
p. 856.
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21/05/2019
Philippe Jaccottet, Exemples
L'habitant de Grignan
Parfois, un tel poids est sur nous que nous décidons de ne rien faire, et en particulier de ne rien écrire, qui ne l'allège, mais encore ne l'allège qu'à bon droit. Cela se peut-il en parlant simplement d'un lieu ? C'est la question que je me suis posé devant ce texte. Provisoirement, en tout cas, rien d'autre ne m'intéresse, et tant pis si je m'égare.
Il semblerait donc que je dispose d'une règle qui me permette de choisir entre le pire et le mieux, c'est-à-dire de quelque absolu ? Non ; mais comment s'expliquer ? C'est un peu comme si le mouvement de l'esprit vers une vérité pressentie révélait cette vérité, ou l'alimentait ; comme si nous devions une bonne fois partir, puisque quelque chose nous y pousse, et que la voie créât, ou plutôt découvrît le but. Marche difficile aux étapes dérobées.
En route donc encore une fois ! Je suis un marcheur voûté par ses doutes. Mais il arrive que des souffles bienheureux m'emportent.
Philippe Jaccottet, Exemples, dans Œuvres, édition établie par José-Flore Tappy, Pléiade, Gallimard, 2014, p. 90.
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18/03/2019
Philippe Jaccottet, Tout n'est pas dit
Tout n’est pas dit
Croire que « tout a été dit » et que « l’on vient trop tard » est le fait d’un esprit sans force ou que le monde ne surprend plus assez. Peu de choses, au contraire, ont été dites comme il le fallait, car la secrète vérité du monde est fuyante et l’on peut ne jamais cesser de la poursuivre, l’approcher quelquefois, souvent de nouveau s’en éloigner. C’est pourquoi il ne peut y avoir de répit à nos questions, d’arrêt dans nos recherches, c’est pourquoi nous ne devrions jamais connaître la mort intérieure, celle qui survient quand nous croyons, à tort, avoir épuisé toute possibilité de surprise. Si nous cédons à ce désabusement, bien proche du désespoir, c’est que nous ne savons plus voir ni le monde en dehors de nous, ni celui que nous contenons, c’est que nous sommes inférieurs à notre tâche, et nous n’avons pas le droit d’en faire le reproche à la « Vie », au « Destin » ou à rien, qu’à nous seuls.
Philippe Jaccottet, Tout n’est pas dit, Le temps qu’il fait, 1994, p. 128.
Une publication en mars
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22/01/2019
Philippe Jaccottet, À la lumière d'hiver
Sur tout cela maintenant je voudrais
que descende la neige, lentement,
qu’elle se pose sur les choses tout au long du jour
— elle qui parle toujours à voix basse —
et qu’elle fasse le sommeil des graines,
d’être ainsi protégé, plus patient.
Et nous saurions que le soleil encore,
cependant, passe au-delà,
que, si elle se lasse, il redeviendra même un moment
visible, comme la bougie derrière son écran jauni.
Alors, je me ressouviendrais de ce visage
qui demeure, lui aussi, derrière
la lente chute des cristaux humides,
qui change, avec ses yeux limpides ou en larmes,
impatiemment fidèles...
Et, caché par la neige,
de nouveau, j’oserais louer leur clarté bleue.
Fidèles yeux de plus en plus faibles jusqu’à
ce que les miens se ferment, et après eux, l’espace
comme un éventail peint dont il ne resterait plus
qu’un frêle manche d’os, une trace glacée
pour les seuls yeux sans paupières d’autres astres.
Philippe Jaccottet, À la lumière d’hiver, précédé de
Leçons et de Chants d’en bas, Gallimard, 1977, p. 96-97.
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